Voix Angélique
La voix d’Angélique Ionatos : grave et âpre comme le rocher décapé de soleil, profonde comme le ressac de la mer, dont elle chante le bercement cyclique, précise, infiniment nuancée. Charnelle, tragique, amoureuse. Dansante autour de la guitare qui presque toujours accompagne sa progression dans le territoire des musiques embrassées. C’est une voix qui attrape, saisit, fascine, tant de puissance dans un corps si frêle, tant de mémoire dans un présent.
Elle a donné vie à une myriade de paroles, des paroles de poèmes sorties de l’immobilité des livres, auxquelles elle a insufflé le mouvement et le rythme, qu’elle a habillées d’accords et de danses : être tour à tour Marie des Brumes et la très ancienne Sappho, chanter la mer, le pardon, l’amour, le pays (Omorphi kai paraxheni patrida), les jours sereins et les amandiers. Aller chercher dans la profondeur et une secrète obscurité la force des litanies tragiques, poser la lumière d’une voix d’enfant sur des climats frémissants de juillet, dans leur bourdonnement de cigales.
Angélique est rarement une voix seule : la musique est presque toujours chez elle une affaire à plusieurs, mélange de timbres et d’instruments que rien ne prédispose à se rencontrer et qui s’allient, dans une singularité étonnée, une justesse qui n’a d’âge ni de pays. Limpidité de la voix de Nena Venetsanou, entre la lame et l’eau claire, qui se marie à sa basse continue pour ressusciter deux mille ans de mémoire poétique ; amplitude de Spiros Spivakos, le répondant de Marie des Brumes, qui s’aventure dans les aigus pendant qu’elle chute dans les graves, douceur de Katerina Fotinaki, que la voix sœur vient caresser de loin en loin, comme on souligne d’un trait de pinceau un contour particulièrement harmonieux.
De même, les instruments inventent des arrangements délicats, une virgule de cymbale, la clarinette de Bruno Sansalone serpentant au milieu des guitares méditerranéennes, les derboukas, les xylophones, le violon, toujours dans l’épure, le minimalisme, le calcul rythmique parfois, jusqu’au moment où la musique déborde et se met à danser, légère, nerveuse, passionnée. Les mains des uns et des autres qui dansent, effleurent, frappent, touchent tambours, zarbs, contrebasse et guitares, inventant mille et une vibrations inédites, faisant corps avec leurs instruments dans un transport entier qui comme souvent en musique ne se peut comparer qu’au transport amoureux.
Le regard d’Angélique sur ses compagnons de scène.
L’image fixerait un profil gracieux, une nuque inclinée, un regard : celui d’une femme qui aurait épousé la langue grecque et y rayonnerait, intègre, sans cesser jamais de gagner en lumière.
Voix Angélique.
© Hélène Gestern / Editions Arléa – 2017
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