La Voix : Delphine Seyrig
La belle, la très belle, la stupéfiante Delphine Seyrig. Plus tout à fait humaine et déjà un peu céleste, l’élégance immatérielle d’une beauté haut portée. Quelque chose comme la grâce, fondue dans le naturel, le vif capturé par l’étreinte fragile de la pellicule, qui a écrit la mémoire de ce visage unique, dont on aurait bien envie de s’éprendre à jamais.
Sur les photographies, la pose, même quand elle se veut nonchalante, demeure discrètement hiératique, conséquence de la beauté bien plus que sa cause. Triangle étroit et félin du visage, que creusent des pommettes hautes, yeux grands et doux, sourire accroché un peu haut, grâce déliée du corps longiligne d’infinie blondeur.
Cette séduction aurait pu se contenter de cultiver son éclat lisse, celle des visages parfaits sur le papier brillant des photographies. Mais toujours, elle est humanisée par la douceur de la pupille, l’émouvante brèche de tendresse qu’entrouvre le sourire. Il faudrait dire l’humour aussi, la pointe de malice qui retrousse l’amande de l’œil et lui fait cadeau de son éclat bref.
Delphine Seyrig, quintessence de séduction désinvolte dont on voit le reflet fasciné — mais voilà que pour lui déjà il est trop tard — dans les yeux d’Antoine Doisnel, jeune vendeur de chaussures foudroyé d’amour devant la sublime Fabienne Tabart (« Fabienne-Tabart-Fabienne-Tabart-Fabienne-Tabart »). Mais aussi fée blonde, bienveillante et moqueuse de Peau d’Âne. Quand elle n’est pas héroïne marmoréenne perdue dans les géométries glacées de Marienbad. Ou figure durassienne, lectrice d’un répertoire dramatique exigeant.
Aucun de ces visages n’occulte celui d’une femme courageuse, qui signa le Manifeste des 343 ; d’une intellectuelle et d’une militante qui ne mâchait pas ses mots (et tant pis s’il fallait froisser quelques icônes, la sienne incluse, au passage) pour dire sa révolte devant l’assujettissement programmé des femmes par le mariage.
Mais de Delphine Seyrig, surtout, demeure la voix. Sa beauté aurait-elle possédé le même éclat, sa présence la même densité, s’il n’y avait eu cette voix incroyable ? Grave, dense, comme si elle prenait par surprise, avec une infinie douceur toutefois, le corps élancé qui la porte, la voix de Delphine Seyrig est un chant d’ensorceleuse, un équilibre parfait entre la matité troublante du timbre et les harmoniques vibrantes de ses inflexions. Plus qu’une voix : une présence sensuelle à part entière, qui dès qu’elle se fait entendre donne l’impression qu’un sortilège organique s’est mise en marche, que la lumière est d’une autre texture, le temps d’une autre qualité, plus translucide, plus intense, dans les images où elle résonne.
Une voix comme un cadeau, une action de grâce arrachée au désordre du monde, un miracle impromptu, une vibration mariée de lune et de soleil. Delphine Seyrig, votre voix exceptionnelle, cette musique sans préavis, cette irréparable merveille dont l’absence continue à résonner, vingt ans après, avec une sombre cruauté.
© Hélène Gestern / Editions Arléa – 2017
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