Muriel Cerf
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En découvrant son décès presque par hasard sur internet, j’ai éprouvé une tristesse incrédule. Muriel Cerf, découverte à quinze ans à la bibliothèque municipale, auteur dont j’ai d’emblée adoré le phrasé torrentiel et précieux, la verve, l’humour, le souffle épique, l’amour presque compulsif de la langue qu’elle innervait de vitalité exubérante. Sa syntaxe funambule et pourtant toujours juste. Jamais une respiration manquante ou une clausule manquée, la phrase lancée comme un bulldozer à l’assaut de la forteresse narrative, récits fantasques, rhapsodiques, impossibles et toujours recommencés. L’une de ces écritures qui donnent la foi en la littérature. La confiance en la vie, aussi.
D’elle, j’ai relu au moins cinq ou six fois le diptyque amoureux formé par Une Passion et Maria Tiefenthaler. Amine et Maria, cette petite cousine de l’Ariane de Belle du Seigneur, éblouis l’un de l’autre, amoureux, méchants, fous, ivres et de désir et de la cruauté qui avec les amours ogresses. J’ai aimé, aussi, les récits de voyage, et fait rire aux larmes une proche en lui lisant le début de Une pâle beauté, monologue intérieur hilarant d’une femme de ménage polonaise qui atterrit au service d’un couple improbable.
Et puis la vie a passé, Muriel Cerf a eu un grave accident de voiture et est entrée dans le silence éditorial. Le souvenir de mes lectures de ses livres a rejoint la cohorte de tous les autres, avec ce petit embarras rétrospectif qu’on peut avoir envers ceux que l’on a parfois trop aimés ou et fréquentés de trop près.
Je l’ai redécouverte en 1991, avec Julia M. ou le premier regard. Ce portrait d’une autre femme infiniment plus grave que l’amour avait endolorie au moins autant que les fractures aux jambes. Et bien des années après, c’est Le Verrou, épais volume auquel le tableau éponyme de Fragonard servait d’illustration, qui m’a emportée à nouveau, sans discussion possible. Une histoire d’amour fou, de réclusion passionnelle, de prise, d’emprise, de possession, où celui qui est du mauvais côté de la porte n’est pas celui qu’on croit. Et encore cette langue sublime, fluviale, lancée à toute puissance à l’assaut d’une passion humaine. Une lecture si impressionnante que je me rappelle en avoir parlé à table à une connaissance, ce que je fais assez rarement quand il s’agit de romans.
En apprenant la nouvelle de la mort de Muriel Cerf, j’ai eu l’étrange impression d’être soudain orpheline d’une part vive de mon langage et de ma mémoire littéraire. Je sais bien que dans les dernières années de sa vie, la romancière a emprunté de drôles de chemins, mais je lui pardonne tout. Je lui pardonne tout, à ma très belle, ma sorcière, ma pythonisse, ma précieuse, ma drolatique, qui se jetait dans le texte à corps perdu, sans craindre l’excès ni le ridicule, et le faisait flamboyer sans égards pour ceux qu’il brûlait.
© Hélène Gestern / Editions Arléa – 2012
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