Chansons à surprises (Radiohead) [18]
Chansons à surprises (Radiohead) [18]
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There There (The Boney King of Nowhere) est une chanson à surprises. Une de celles que l’on écoute en boucle et dont on se rend fou à force d’en vouloir comprendre l’alchimie. Elle m’accompagnait pendant mes promenades finlandaises, dans la nuit tiède de mon petit appartement et ma solitude étrangère. Elle commence doucement, sur deux temps frappés et une ligne de guitare, avec la voix un peu ululante et plaintive de Thom Yorke et s’étire ainsi pendant près de trois minutes. Après une brève rupture de percussions, l’écho d’une deuxième voix, assourdie, dessine un chœur ténu, puis méthodique, qui monte en puissance ; l’univers sonore, en quelques secondes intenses, se densifie, par entrelacs et par échos. C’est alors que la chanson bascule et se déchaîne, fait face à une autre urgence, une complexité superposée de pulsations, de voix, de sons. Elle sature tout l’espace sonore libéré pour nous offrir, physiquement, l’expérience du passage. Il existe quelques autres de ces chansons étonnantes, qui racontent plusieurs histoires harmoniques en une : The Itchy Glowbo Blow, de Cocteau Twins, Grey Goes Black, du Marc Lanegan Band, I’m not really here, d’Erland and the Carnival, et surtout l’incroyable State of Shock des Ex et de Tom Cora, transcendée dans sa seconde partie par les vocalises de Catherine Jumiaux. Ces joyaux compacts, par l’intelligence de leur architecture, leur intensité dramatique, leur folie maîtrisée, laissent à penser que le petit objet musical appelé chanson ne relève pas toujours d’un art mineur.
© Hélène Gestern / Editions Arléa - 2012