Kamo no Chomei, l’ermite-poète

 

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La littérature japonaise médiévale et classique est riche de nombreux écrits d’inspiration autobiographique : le Hôjô-ki, ou Notes de ma cabane de moine, écrit par Kamo no Chômei en 1212, en est sans doute l’un des plus frappants, malgré sa brièveté.

Son auteur, né en 1155, est d’abord un poète et un musicien : remarqué par l’ex-empereur Go-Toba, il est invité à rejoindre le Bureau de Poésie qui compile alors le Shinkokinshû, grande anthologie de la poésie de l’époque. Mais il est déçu dans ses ambitions et décide d’entrer en religion : il se retire d’abord dans un ermitage en 1204, puis dans une hutte qu’il construit de ses propres mains, et dans laquelle il finit ses jours en 1216. C’est là qu’il écrit le Hôjô-ki, texte qui est à la fois une méditation sur la destinée humaine et une réflexion sur les vertus de la solitude.

Dans une première partie, Chômei décrit les cinq catastrophes qui se sont abattues sur Kyôto à la fin du XIIe siècle en l’espace d’une décennie : incendie, ouragan, famine, épidémie, tremblement de terre, auxquels il faut ajouter le déménagement de la capitale. Son récit,qui rejette la rhétorique de l’emphase, est au contraire simple et plein de compassion pour les victimes. La cruauté des événements est résumée  par quelques scènes marquantes, qui témoignent de l’ampleur du désastre : parents “prostrés dans la douleur” tenant le cadavre de leur enfant dans leurs bras, maris et femmes morts pour avoir sacrifié leur ultime nourriture à l’autre. De ces visions pleines de souffrance, Kamo-no-Chômei tire la conclusion qu’il n’est guère de lieu où l’on soit à l’abri : “Où faudrait-il s’installer, que faudrait-il faire, pour être un peu tranquille, pour goûter ne serait-ce qu’un instant le contentement du cœur ?” (271).

Cette question sert de transition à la seconde partie du récit, cette fois beaucoup plus personnelle, voire intimiste. En effet, l’auteur y raconte sa retraite et la construction de sa cabane, se comparant au “ver à soie qui, vieillissant, fabrique son cocon” (272). Il décrit, avec un évident plaisir, la modestie de sa demeure, et surtout la beauté du paysage qui l’environne, dont la contemplation est pour lui la source d’un perpétuel réconfort. La solitude qui est la sienne, rompue de temps à autre par les visites d’un enfant, ne semble guère lui peser : certes, il pleure en pensant à ses amis, mais remplit son quotidien de promenades, de prières, de musique et de méditation, qui le conduisent peu à peu vers une forme d’ataraxie. Ce qui est frappant dans les notes du moine japonais, si on les compare par exemple à la littérature érémitique des Pères du désert, est la sérénité qui s’en dégage. Nulle culture de la souffrance, nulle recherche de la mortification, au contraire : ermite, mais non ascète, Chômei dit composer quelques vers et jouer du biwa “pour [s]on propre plaisir”, a le souci du repos de son corps et semble goûter tout particulièrement le spectacle de la nature : “Les beaux paysages n’ayant pas de propriétaire, chacun peut sans contrainte se consoler en les contemplant” (274).

Ce texte limpide, souvent émouvant, a pourtant une source : son auteur a en effet emprunté la trame du Hôjô-ki à un texte chinois du Xe siècle, le Chiteiki, dont il a même traduit certains passages dans ses propres notes. Pratique qui n’a rien de choquant quand on sait qu’en poésie, le honkadori, ou style de l’emprunt, est un procédé de composition qui fait partie intégrante de la culture littéraire japonaise de l’époque. Cette intertextualité, qui ne nuit en rien au caractère personnel du récit de Chômei, révèle une esthétique différente de la nôtre : il ne s’agit pas de chercher à tout prix l’originalité, mais de réactualiser sans cesse le passé dans un tissu littéraire qui est en même temps un trait d’union entre les époques et les cultures.







© Hélène Gestern / La Faute à Rousseau (2002)




Urabe Kenkô, Les Heures oisives, suivi de Kamo no Chômei, Notes sur ma cabane de moine, traduit du japonais par Charles Grosbois, Tomiko Yoshida et le R.P. Sauveur Candau, Gallimard / Unesco, “ Connaissance de l’Orient ”, 2002.

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