La belle âme
Le livre est resté longtemps dans ma bibliothèque. Acheté dès la sortie, il me tentait, je l’ai même commencé, mais il a été gardé en réserve pour « le bon moment » (qui n’est jamais venu), puis il a été noyé sous le flot des nouveaux entrants. Tout récemment, j’ai pris le temps de le lire, dans cette période encore calme, pour un petit travail que j’ai grand plaisir à préparer sur la collection « Traits et Portraits », de Colette Fellous. Une très belle collection où les artistes sont invités à composer leur autoportrait en mêlant des textes et des images. Ronis, lui, a choisi les photos qu’il préférait et revient longuement sur les circonstances de leur prise : ce qui l’a ému, touché, la qualité de la lumière, la grâce des gestes, l’atmosphère… Il parle de la joie qu’il a eu à réaliser certaines images, des corrections qu’il a apportées à d’autres, de la manière dont il a parfois provoqué la chance, en demandant par exemple à ce petit garçon de courir après la baguette de pain… Il a pris une bouleversante photographie de sa femme, Anne-Marie, minuscule dans la neige, à la fin de sa vie, pendant qu’il l’accompagnait dans sa maladie. Ses mots sont simples, délicats. Ils donnent du sens et de la profondeur à chacune de ses scènes, nous renvoyant à l’instant rare où elles ont été prises. A propos de la photo d’un mineur silicosé (à 47 ans, l’homme, étique, le visage creux, en paraît 70), il écrit : « Une photo n’est pas un parpaing avec lequel on peut construire n’importe quoi. Je me sens entièrement responsable de l’utilisation de ces images. » Il y a dans ses petits textes la même lumière que dans ses images, la même évidence. Il y a aussi toute la passion d’un photographe qui a médité ses gestes, et qui est devenu un lecteur virtuose de l’harmonie du monde. A le lire, je me dis que Willy Ronis devait être une belle âme.
Willy Ronis, Ce jour-là, Seuil, « Traits et portraits », 2006, 184 p. ill.
© Hélène Gestern / La Faute à Rousseau (2014)